Roger Perchaud
La belle partition militante du bio et du jazz
Chaque mardi, jour de fermeture de tous les commerces de Chalais, Roger Perchaud toque à la porte de Loco Bio. Toujours discrètement. Pas pour y faire ses courses. Non ce jour là, il vient donner un coup de main à l’équipe qui l’accueille à bras ouverts. Car le mardi est un jour de livraisons. Et il y a du boulot! Réceptionner les produits qui arrivent sur palettes, vérifier qu’il n’y pas d’erreurs, stocker les denrées dans le frigo ou les mettre en rayons puis assurer le réassort du rayonnage des alcools... Depuis l’ouverture de l’épicerie bio il y a quatre ans, ce coopérateur actif sait qu’il faut faire vite et bien. Sans s’énerver, juste en sifflotant. « Avec Roger ça roule » affirment unanimes les filles de la Loco qui apprécient sa « force tranquille efficace » . Lui, adore ces mardis solidaires. « Ça me rappelle mon ancien métier d’épicier » dit-il non sans nostalgie.
L'épicerie de Challignac
Épicier Roger? Eh oui. L’aventure remonte aux années 80. « A l’époque, Marie Françoise et moi vivions à Challignac . Pierre notre fils, était tout petit. Je voulais jouer à fond la carte de la vie locale et quoi de mieux qu’un bar-épicerie pour créer du lien social! ». Mais chez les Perchaud, la musique est une respiration de tous les instants. Et bientôt, la voilà qui s’invite en concert à l’épicerie du village. Un peu de rock, de jazz, du swing ... Tous les quinze jours/trois semaines, on vient d’un peu partout pour écouter la musique et guincher à Challignac.
« Entre l’épicerie, les concerts... on ne roulait pas sur l’or mais ça marchait tant bien que mal». Jusqu’à l’arrivée des supermarchés dans nos campagnes. Grandes surfaces qui séduisent même les plus fidèles clients. Difficile alors de joindre les deux bouts. En 1989, il faut se faire une raison : c’est la fin de l’aventure.
La musique du changement
Mais Roger a plus d’une flèche à son arc. Il connaît la musique du changement. Fils de militaire, il a appris à s’adapter au fil des déménagements familiaux successifs . Une année ici, l’autre là... Ainsi, de son enfance aux côtés de ses deux sœurs, Roger se souvient-il avec la même tendresse, du Sahara et ses oasis comme de ses premières glissades sans patins sur les mares glacées d’Angoulême. Bien plus tard, avec un bac de philo et un Deug de droit, il tente la vie de fonctionnaire. Fausse route. « J’ai tenu 8 mois! J’avoue avoir du mal avec les relations hiérarchiques et les chefs ». C’est au grand air et autonome qu’il se sent bien. Il devient alors livreur dans une biscuiterie-confiserie puis maçon aux côtés de son beau-frère et ami Henri, tailleur de pierres.
Garder le tempo
Ainsi, après la belle aventure de Challignac, « l’épicier musico » fait une ou deux saisons de ramassage de melons, puis dans les vignes.En 1991, il achète et retape une vieille chaumière isolée aux confins de la commune de Montboyer et devient paysan-boulanger réalisant trois fournées par semaine avec des livraisons à domicile. «Dans la vie, le bio était déjà une évidence. C’est devenu une éthique, un engagement. Et cela grâce à des pionniers du bio en Charente : Jean François Decroix et les Massieau père et fils».
Parallèlement au bio, Roger ne cesse de cultiver sa fibre musicale. Il faut dire qu’avec une compagne prof de musique et un fils compositeur et guitariste professionnel talentueux, ce passionné de jazz garde le tempo.
« Avec Pierre, on fantasmait souvent sur l’idée de créer un festival en Sud-Charente. Un jour alors que je livrais des pains, j’ai découvert un lieu magique avec un chêne de 40 mètres d’envergure à St Amand de Montmoreau ». Bientôt, avec sa famille et ses amis, qui n’ont pas oublié les concerts de Challignac, mûrit l’idée d’un Festival à taille humaine conjugant exigences artistiques, émotions, partage, proximité, générosité. C’est donc là que se déroule en 2009, la première édition de Respire Jazz. L’année suivante, le Festival s’installe à l’Abbaye de Puypéroux . Un univers magnifique, avec toute une infrastructure pour accueillir le public et les musiciens. A ses côtés dans l’aventure, Marie-Françoise son alliée de toujours. Il peut aussi compter, chaque année, sur l’investissement de quelques 55 bénévoles. Au fil du temps, « Respire Jazz » est devenu un rendez vous incontournable en Sud-Charente. Le challenge est de taille. D’ailleurs, sachez qu’avant et pendant le Festival, le fondateur de « Respire Jazz» qui vit ses responsabilités en apnée, n’est pas forcément à prendre avec des pincettes. Sinon, hors festival, selon ses proches et amis, l’homme est « discret presque timide. Passionné et déterminé. Militant au sens noble du terme ».
Musique et bio éthique
Plus qu’un simple festival, Respire Jazz est un « éco festival ».
« Nous y tenions. Dès le départ, nous avons axé nos choix sur de la restauration totalement bio, des toilettes sèches, l’utilisation de vaisselle et gobelets réutilisables, la réduction et le tri de tous les déchets avec recyclage... » Pierre le fiston musicien, fervent militant de la cause écologique, veille aussi au grain. Pour lui comme pour son père, le Festival est l’occasion de conjuguer concrètement festivités et engagements « pour limiter notre empreinte carbone »
Avec le Covid, Respire Jazz a été annulé en 2020. « Ça fait mal et en même temps cela m’a permis de prendre un peu de recul, de faire une pause et de me recentrer sur des essentiels. J’estime que notre génération est grandement responsable de l’état de notre planète et se doit d’agir aujourd’hui pour l’avenir des plus jeunes. Cette crise sanitaire me conforte dans l’idée qu’il est plus qu’urgent de pousser nos réflexions plus loin encore et surtout de passer aux actes concrets».
Et Roger n’étant pas du genre à brasser de l’air, qu’on se le dise : son investissement à la Loco Bio va se poursuivre de plus belle. Et la partition de l’édition 2021 de Respire Jazz sera « éco responsable » musicale et bio à 100%. Voire plus.
France Berlioz